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Monochrome Web : Site "Par & Pour Déficients Visuels"Rubrique : Le Podcast "Série Noire Pour Une Canne Blanche"Épisode #12 : "L'Enfer, C'Est Les Autres"Bon à savoir ... Avant de télécharger!
Transcription Texte
Je suis Lise Wagner, et je vous accueille dans ma "Série Noire Pour Une Canne Blanche". "Série Noire Pour Une Canne Blanche", c'est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu'affrontent quotidiennement les personnes qui, comme moi, voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles. Aujourd'hui, pour ce douzième et dernier épisode de cette saison, j'ai décidé de vous parler de vous; plus précisément, des petites maladresses ou malentendus qui peuvent brouiller la communication entre ceux qui sont bien pourvus en termes de vision et ceux qui le sont moins, voire pas du tout. J'ai intitulé cet épisode "L'enfer, c'est les autres". J'aurais aussi bien pu l'appeler : "L'enfer est pavé de bonnes intentions". Car oui, en général, les intentions des sauveurs qui se précipitent au secours d'un virtuose de la canne blanche sont tout à fait louables. Mais la manière dont elles se traduisent en actes n'est pas toujours appropriée. Je vous raconte. Vous comprendrez qu'il est parfois difficile de garder son sang-froid. D'un côté, quand je parle avec des bien-voyants des yeux, on me dit souvent : Je suis gêné, je ne sais pas comment aider un non-voyant dans la rue, j'ai peur de mal faire, de lui faire peur, qu'il ne m'entende pas, etc, etc. Et, d'un autre côté, quand nous nous retrouvons avec mes compagnons d'infortune, je ne vais pas vous cacher qu'un de nos sujets de prédilection, ce sont les maladresses des bien-voyants à notre égard. Entre ceux qui nous sautent dessus à l'approche du moindre obstacle, ceux qui, au contraire, font de grands détours pour ne pas nous croiser sur un trottoir, ceux qui s'adressent à nous comme si nous avions du mal à comprendre la langue française, ceux qui préfèrent s'adresser à la personne qui nous accompagne, ceux qui posent des questions ultra-intrusives, ceux qui entament la conversation en nous disant : j'ai un ami comme vous et qui nous abreuve de détails intimes sur le dit ami, alors que nous n'avons rien demandé... Bref, vous l'aurez compris, notre handicap suscite parfois chez les autres des attitudes quelque peu étranges. Il y a d'abord les bons samaritains qui, avides d'une bonne action, ne prennent même pas le temps de nous demander ce dont nous avons besoin, s'empressent de nous attraper par un bout pour nous remettre dans le droit chemin, du moins ce qu'ils estiment eux être le droit chemin. C'est ainsi que l'un de mes amis a été conduit de force dans la Basilique de Fourvière à Lyon, alors qu'il cherchait simplement à rejoindre la station du funiculaire pour redescendre en ville. Plus classiquement, il est arrivé à un bon nombre d'entre nous, de nous retrouver de l'autre côté de la rue alors que nous n'avions nullement l'intention de traverser. Imaginez-vous, vous êtes sur un trottoir et vous attendez le bus ou tout simplement un ami qui doit vous rejoindre. Une personne, que vous ne voyez pas, je le rappelle au cas où, arrive par derrière et vous empoigne le bras pour vous emmener vers le passage piéton. Comment réagiriez-vous? Moi, j'avoue que ça me donne l'impression d'être un objet qu'on déplace sans ménagement. Mais cette situation arrive aussi très souvent en plein déplacement, par exemple dans les couloirs du métro, en particulier lorsque nous abordons un escalier. On est là, on avance, on a toutes ses antennes en éveil. On se concentre sur sa technique de canne pour ne pas rater la première marche. Et là, une main inconnue se glisse soudainement sous votre bras, quand elle ne vous empoigne pas fermement. Là, mon réflexe naturel serait de me débarrasser de l'intrus en lançant un violent coup d'épaule. Mais comme je suis une fille bien élevée et que je ne veux pas passer pour quelqu'un de violent, je me retourne simplement vers cette personne avec un grand sourire forcé et je lui dis bonjour. En général, cela suffit pour lui faire prendre conscience de sa maladresse. J'en profite alors pour faire un peu de pédagogie et ouvrir le dialogue en lui expliquant que, vu que je ne vois pas, la meilleure manière de m'aborder, c'est de m'adresser la parole avant toute tentative gestuelle. Mais ce n'est pas toujours efficace, en particulier lorsque l'intervenant ne parle pas la même langue. Un jour où j'allais prendre le métro, une dame, tellement paniquée à l'idée que je tombe dans la fosse, m'a retenue fermement par le bras pour m'empêcher de m'en approcher. Moi j'avais tout simplement l'intention de me positionner sur un emplacement de porte pour anticiper l'arrivée de la rame en station. Je lui ai alors gentiment demandé de me lâcher. En plus, à cette époque, j'avais une blessure au poignet qui représentait un sérieux danger au cas où on me serrait trop fort. Mais visiblement, elle ne comprenait pas et avait vraiment très peur pour moi. Plus je me débattais et plus elle serrait. J'ai dû alors me fâcher contre elle et lui crier dessus pour qu'elle accepte enfin de me libérer. Les témoins de la scène ont alors peut-être pensé que j'étais une personne agressive et ingrate de refuser une aide si spontanément offerte. Malheureusement, dans ce cas-là, j'étais face à une personne qui était tétanisée par sa peur et qui, de toute évidence, ne m'écoutait pas. Qui plus est, et même si elle ne pouvait pas le savoir, elle me faisait courir un sérieux risque pour ma santé. Une autre fois, alors que je traversais au passage piéton, j'ai entendu un scooter arriver dans la rue derrière moi. J'étais alors un peu en alerte, puisque je sais que de nombreux livreurs qui se déplacent en scooter ne sont pas toujours respectueux du code de la route. Mais là, le scooter s'est arrêté. Je continue alors ma traversée, toujours concentrée et à l'écoute de tous les indices sonores. Et là, quelqu'un arrive derrière moi et me saisit fermement par les épaules. Là j'avoue que, sur le coup, j'ai vraiment cru à une agression et ma réaction n'a pas été des plus aimables. Le monsieur, qui malheureusement ne s'exprimait que très peu en français a bredouillé qu'il voulait m'aider. Et c'est vrai. Je suis absolument convaincue que la plupart des personnes qui nous prennent le bras sans notre consentement sont guidées par de bonnes intentions. Mais il en existe aussi malheureusement qui voudraient bien profiter de notre supposée faiblesse pour nous subtiliser quelques biens précieux ou pratiquer des gestes déplacés, sur les femmes en particulier. Mais il y a pire. Il y a ceux qui, toujours avec cette même louable intention de vous faire éviter les obstacles, vous attrape par la canne pour vous mener dans la bonne direction comme un chien en laisse. D'ailleurs, je connais des gens qui, quand ça leur arrive, ne se gênent pas pour aboyer, ce qui surprend évidemment beaucoup le grand salvateur. Moi je n'ai encore jamais osé mais j'avoue que ça me tente. Il y a quelques semaines, alors que je partais travailler en empruntant un itinéraire dont je n'avais pas l'habitude, je me suis mal embarquée sur une partie de trottoir qui était très encombrée. Lorsque je m'en suis rendu compte, j'ai immédiatement rebroussé chemin et c'est là qu'un homme a brusquement saisi ma canne en prononçant cette phrase sans appel : Attendez, attendez, je vais vous aider. Moi, surprise et déstabilisée d'être subitement privée de ma baguette magique, je retire ma canne d'un geste ferme. Lui vexé, le voilà qu'il me lance : Non mais c'est bon, je vais vous la rendre. Et puis, après tout, tant pis, vous n'avez qu'à vous débrouiller. J'ai eu beau lui expliquer que m'enlever ma canne me mettait en danger, que c'était un peu comme si je lui mettais la main sur les yeux, il était déjà loin... Il m'est aussi arrivé une situation semblable en descendant du bus. Je pose à peine le pied par-terre sur le trottoir qu'une dame me braque vivement ma canne sur le côté droit. Là encore, je réagis vivement et c'est là qu'elle se fâche en me disant que c'est pour m'aider. J'essaye de lui expliquer calmement que ce n'est pas la bonne manière, mais elle ne veut rien entendre et finit par cette sentence : De toute manière c'est la dernière fois que j'aide une personne aveugle. J'avoue que, moi qui n'aime pas beaucoup le conflit, ça ne m'amuse pas du tout de devoir parlementer avec des gens qui sont persuadés de savoir mieux que moi ce qui est bon pour moi. J'ai toujours des scrupules à donner une mauvaise image des aveugles, car je sais que les gens ont vite tendance à généraliser. Mais je refuse de me faire manipuler comme un pantin uniquement sous le prétexte que j'ai un handicap. J'essaye d'être polie, sympa et compréhensive avec les gens mais il m'arrive moi aussi d'être fatiguée, stressée, excédée et je revendique le droit à n'avoir pas toujours un comportement exemplaire. Il m'arrive aussi d'accepter l'aide d'une personne non pas parce que j'en ai vraiment besoin mais parce que je sens que ça lui fait super plaisir. Je me rappelle d'une fois, j'étais dans le métro et une personne m'a proposé son aide pour sortir de la station. Comme je connaissais bien l'endroit, j'ai commencé par décliner gentiment son offre. Mais comme il insistait et qu'il avait l'air plutôt sympathique, j'ai fini par accepter. Il a d'abord voulu me faire prendre l'ascenseur. J'ai insisté pour prendre les escaliers. Je suis un peu claustrophobe et je n'aime pas particulièrement me retrouver enfermée dans une petite cabine qui sent le pipi. En sortant, je lui désigne l'endroit où je vais. Mais là encore, il insiste pour me faire passer par un chemin qu'il pense beaucoup plus approprié. Comme il semble sûr de lui et que j'en ai un petit peu marre de devoir parlementer, j'obtempère. Je marche alors à côté de lui en lui tenant le bras, et c'est alors que je me heurte violemment le genou à une borne en béton. Là, j'ai envie de lui hurler des insultes. Mais une fois encore, je suis une fille bien élevée alors je me contente de grimacer de douleur. Et lui, pas déstabilisé pour deux sous me lance : Ah mais vous ne l'avez pas détectée avec votre canne? Je me suis alors demandé s'il était juste maladroit ou profondément sadique pour me guider droit dans une borne en béton. Non, c'est vrai, quand je suis au bras de quelqu'un, j'ai la faiblesse de lui faire suffisamment confiance pour alléger ma concentration et ma technique de canne. J'en ai été quitte pour un gros hématome que j'ai traîné pendant plusieurs semaines. Mais cette histoire m'en rappelle une autre aux conséquences beaucoup plus fâcheuses. Il y a plusieurs années, une de mes connaissances, malvoyante, cherchait à rejoindre la station de taxi dans le pôle d'échange multimodal de Lyon Perrache. Alors qu'elle allait s'engager dans l'escalier qu'elle connaissait bien, un individu l'a retenue pour la diriger vers l'ascenseur. Malgré ses protestations, il a lourdement insisté, lui expliquant que ce serait beaucoup mieux pour elle. Fatiguée de devoir expliquer son choix à une personne si bien intentionnée, elle a fini par céder. Après lui avoir indiqué les boutons, l'homme s'est retiré et il l'a abandonnée dans la cabine. Mais en sortant à l'étage indiqué, elle ne se doutait certainement pas que l'ascenseur ouvrait sur quelques marches descendantes. Dans la pénombre, elle ne les a tout simplement pas vues et c'est alors qu'elle a lourdement chuté en bas. Elle s'en est tirée avec une fracture du pied qui a mis des mois à se résorber. Mais c'est sans compter les graves séquelles psychologiques, car, après une expérience de ce type, croyez-moi, on perd beaucoup en assurance dans ses déplacements. Encore une fois, je veux être clair, je suis très reconnaissante envers les personnes qui veulent m'aider. Je préfère largement ça à l'indifférence. Mais je voudrais avant tout qu'on se rappelle que je suis une personne avec son libre arbitre et sa volonté. Si vous voulez m'aider, c'est simple comme bonjour. Il suffit en effet de me saluer pour attirer mon attention et de me demander si j'ai besoin d'aide. Si jamais je ne vous entends pas parce que mon attention est ailleurs, ce qui peut tout à fait arriver, vous pouvez bien sûr m'effleurer le bras au moment où vous m'adressez la parole. Il se peut que je décline simplement votre offre, mais ne vous fâchez pas, c'est tout simplement que je n'en ai pas besoin à ce moment-là. Et si j'accepte, il y a de fortes chances pour que ce soit moi qui vous explique ce dont j'ai besoin et comment vous pouvez m'aider. Il n'y a certainement pas besoin d'apprendre un mode d'emploi à l'avance. Chaque personne a ses propres besoins et ses préférences de guidage et c'est à elle de vous les expliquer. Vous l'aurez compris, la seule chose qui compte, c'est d'être ouvert à la conversation. Je vous laisse sur ces bonnes paroles. J'espère que cet épisode vous a plu. C'était le dernier de cette saison. N'hésitez pas à le partager largement avec votre entourage. Je fais une pause de podcasts pour le moment, mais vous pouvez continuer à me suivre sur le webzine Okeenea, ou sur le blog Accessibilité-DV.fr, la page Facebook Accessibilité-DV et, bien sur, mon compte LinkedIn : Lise Wagner. Vous pouvez également me faire part de vos commentaires et de vos idées pour les prochains épisodes en m'écrivant à l'adresse : lise@okeenea.com C'était : "Série Noire Pour Une Canne Blanche", un podcast proposé par Okeenea. En attendant la suite, continuons tous ensemble à rendre le monde qui nous entoure plus accueillant de toute la diversité humaine. Portez-vous bien et à bientôt! Lien De Téléchargement DirectCopyright (©) Stéphane VINCENT 2006-2099 Monochrome Web, Site "Par & Pour Déficients Visuels" - Tous Droits Réservés |