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Épisode #11 : "Les Péripéties D'Un Chien Guide"

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Transcription Texte

Bonjour à toutes et à tous,

Je suis Lise Wagner, et je vous accueille dans ma "Série Noire Pour Une Canne Blanche".

"Série Noire Pour Une Canne Blanche", c'est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu'affrontent quotidiennement les personnes qui, comme moi, voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.

Aujourd'hui, pour ce onzième épisode, j'ai décidé de laisser temporairement ma canne blanche au placard pour vous parler des fidèles compagnons à quatre pattes des personnes déficientes visuelles, les chiens guides.

Combien de fois ai-je entendu dans ma vie : Mais pourquoi tu n'as pas un chien guide? Eh oui, je dois dire que, bien souvent, les chiens guides sont perçus dans l'inconscient collectif comme les remèdes à tous les problèmes des personnes aveugles. Ah qu'ils sont merveilleux ces chiens! Qu'ils sont beaux! Qu'ils sont intelligents! Il ne leur manque que la parole. Et c'est vrai! Mais vous qui m'écoutez, vous comprendrez bien vite que la décision d'avoir un chien guide ne se prend pas à la légère. Vous verrez que, même avec un compagnon aussi génial, on peut en voir de toutes les couleurs.

Pendant longtemps, j'étais réticente à l'idée d'avoir un chien guide. J'ai grandi à la campagne, entourée de grands espaces avec beaucoup d'animaux. L'idée d'imposer à un chien un appartement de moins de cinquante mètres carré, dans un environnement urbain ultra dense était pour moi inconcevable. Je m'imaginais mal aussi comment j'allais trouver le temps de prendre soin d'un chien et lui offrir les moments de détente dont il a besoin en parallèle de mes multiples activités. Et puis, il y a quelques années, lorsque j'ai rencontré mon conjoint, il se trouve qu'on venait de lui remettre son chien guide. Aujourd'hui, il reste bien sur son maître principal, mais moi aussi, j'ai tenu à passer mon permis chien guide. Je parle de permis chien guide, car oui, marcher avec un chien guide s'apprend. Il ne suffit pas de saisir le harnais et de lui glisser à l'oreille sa destination comme pour un GPS. Je suis donc allée à l'école des chiens guides comme n'importe quel nouveau demandeur. J'ai appris à interpréter ses réactions, à le reprendre en cas de comportement inapproprié, à gérer les rencontres avec les congénères plus ou moins sympathiques, les incidents de parcours, etc. J'ai dû aussi m'habituer à prendre des repères différents. Avec la canne blanche, on ressent les moindres changements de matériaux et toutes les aspérités du trottoir. Certes, on s'en sert d'abord pour éviter les obstacles mais c'est aussi une source d'information énorme sur notre environnement : un mur, une jardinière, un poteau, une barrière... Le chien guide, lui, évite tous les obstacles et ça c'est génial! Mais il est vrai qu'au début, c'était un peu perturbant de ne pas retrouver ses repères habituels. Et puis, ce qui est vraiment agréable avec un chien, c'est qu'on peut s'abandonner à marcher beaucoup plus vite. Et, à cause de la vitesse, il arrive qu'on perde un peu la notion de distance. J'avoue qu'au début de notre vie commune, il est plusieurs fois arrivé que mon chien m'emmène bien malgré moi là où il avait décidé d'aller lui, voir un copain par exemple ou la boulangère qui était un peu trop gentille avec lui. Ces petits inconvénients se font évidemment bien vite oublier. Ne plus avoir à se soucier des multiples obstacles qui encombrent les trottoirs de nos villes, ne plus passer son temps à rebondir entre les poteaux, les poubelles et les trottinettes abandonnées, pouvoir traverser un grand espace sans avoir le souci de maintenir sa trajectoire, c'est un réel confort. Marcher avec un chien guide quand on ne voit pas, c'est retrouver le goût de la marche plaisir, c'est retrouver le goût de sortir juste pour prendre l'air et pas parce qu'on y est obligé.

Cependant, faire une demande de chien guide est un vrai choix de vie. Et d'ailleurs, le temps d'attente pour en obtenir un vous laisse largement le loisir d'y réfléchir. En effet, le nombre de chiens éduqués n'est pas suffisant pour répondre à la demande et les temps d'attente sont très longs. Cette attente peut être mise à profit pour vérifier qu'on est prêt à lui faire toute la place nécessaire dans notre vie : Lui consacrer du temps pour le sortir et jouer, lui offrir des moments de détente avec d'autres chiens, bref des moments où il pourra se laisser aller pleinement à son instinct animal, instinct contre lequel on lui demande de lutter en permanence pendant le guidage.

Mais ce qui est le plus difficile à assumer pour un maître de chien guide, c'est certainement le comportement des autres humains à son égard. D'abord, il y a la question des refus d'accès. Même si la loi autorise les chiens guides d'aveugles à accéder librement dans tous les lieux publics, la réalité est plus compliquée. Croyez-moi, il n'est jamais agréable de se faire arrêter d'un gros bras musclé en pleine poitrine alors que vous rentrez simplement au supermarché pour aller faire vos courses. Généralement, l'incident se solde simplement en expliquant la loi. Mais le manque de formation des agents de sécurité aux droits d'accès, des chiens guides est un problème récurrent. Ça se complique davantage quand on souhaite accéder à un établissement de loisirs comme une salle de sport. On a beau avoir la loi de son côté, devoir imposer son chien guide à un personnel hostile peut gâcher un moment qui aurait dû être dédié à la détente. Et je ne vous parle pas des chauffeurs de taxi qui, à la vue d'un chien guide, tombent inexplicablement en panne ou se trouvent subitement dans l'obligation de servir une course urgente...

Il y a aussi les phobiques. Je ne leur jette pas la pierre. Je sais à quel point une phobie peut être irrationnelle et difficile à contrôler. Et au sujet des phobiques, j'ai une petite anecdote qui, sur le moment, ne m'a pas fait rire du tout, mais qui, avec le recul, est plutôt cocasse.

Avec mon conjoint, accompagnée de notre chien guide, nous étions partis passer la journée à la campagne avec un autre couple, aussi non-voyants et maîtres de chien guide. Nous avions fait le déplacement en train. Au retour, nous sommes montés dans le train et, comme à notre habitude, nous avons sollicité à la cantonade les autres voyageurs pour trouver une place assise. Et malheureusement, comme à notre habitude, personne n'avait répondu. Les gens étaient plongés dans leur conversation, leur lecture, leur musique ou leur profond sommeil... Grâce au petit reste visuel de l'une d'entre nous, nous finissons quand même par trouver un carré libre avec quatre places. Nous nous installons donc en prenant soin de ranger au mieux nos deux chiens pour qu'ils ne gênent pas le passage. Comme on ne peut pas les dégonfler, ce qui serait quand même bien pratique, on en met un entre nous et l'autre dans le couloir, le plus possible collé à nos sièges. Vu qu'ils ont bien joué toute la journée, ils n'attendent que ça pour piquer un profond roupillon. Nous, nous sommes soulagés d'avoir trouvé de la place assise et nous pouvons commencer à nous détendre. Mais voilà que, au bout d'une dizaine de minutes, une voix d'homme provenant du fond du wagon nous demande de nous déplacer, prétextant que la présence des chiens l'empêche de travailler. Un peu agacés, je l'avoue, nous lui rétorquons que nous avons déjà eu suffisamment de mal à trouver une place. Il n'est pas question de changer. Nous lui recommandons simplement de rester à sa place et que tout se passera bien. L'incident semble clos et nous reprenons joyeusement notre conversation. Mais quelques minutes plus tard, voilà que l'homme, cette fois un peu plus près, revient à la charge : Mesdames, Messieurs, j'ai fait un très gros effort pour m'approcher de vous car j'ai très peur des chiens. Je vous demande avec respect de bien vouloir changer de place. Nous, absolument convaincus de n'avoir enfreint aucune règle, nous campons sur notre position. Et comme le ton commence à monter, nous finissons par répondre qu'il n'a qu'à aller se plaindre au contrôleur. C'est alors que sa réponse tombe : mais je suis le contrôleur! Là, nous n'avons pas pu nous empêcher d'éclater de rire. Mais vu qu'il ne s'était pas présenté, nous ne pouvions pas le savoir. Mais à bien y réfléchir, lui ne se doutait certainement pas que nous étions tous les quatre incapables de le voir. Eh oui, pas un pour rattraper l'autre... En tout cas, ce contrôleur était de toute évidence tellement phobique des chiens que même nos deux grosses peluches complètement amorphes l'empêchaient de faire son travail.

Et puis, à l'inverse des phobiques, il y a les grands amateurs de chiens. Ceux-là, on les reconnaît à leur manière de dire bonjour au chien avant de parler au maître. Parfois même, ils vont jusqu'à lui donner des recommandations : Tu feras bien attention à ta maîtresse. Un peu plus loin, il y a des travaux. Tu feras bien attention de passer à droite. On est bien d'accord, le chien, lui, ne comprend rien; mais comme l'humain s'exprime en langage humain et non en aboiements, le maître peut quand même profiter de ces explications. Chouette!

Il y a aussi ceux qui attirent l'attention du chien par un regard ou un claquement de langue alors qu'on est justement en train de traverser la rue. Pire encore, dans les mêmes circonstances, certains se permettent de le caresser ou même de lui donner à manger. Alors ça, vous vous en doutez, c'est une très mauvaise idée. Les chiens guides sont des chiens géniaux mais ils restent des chiens. Ce sont des animaux très sensibles aux sollicitations et tout particulièrement les labradors, la race la plus utilisée pour les chiens guides, ils sont très attirés par la nourriture. Rien de tel qu'un morceau de pain pour leur faire immédiatement oublier leur mission. Alors même si vous adorez les chiens, si vous voyez un chien guide en pleine action, ignorez-le, ça ne pourra que l'aider à mieux se concentrer. Bon, on est bien d'accord, s'il est complètement avachi de tout son long aux pieds de son maître à la terrasse d'un café, là, il a peut-être droit à une caresse. Mais demandez d'abord l'accord à son maître. Ce n'est pas le chien qui décide.

Les chiens guides sont aussi des animaux facétieux qui, parfois, par leur comportement, peuvent mettre leur mettre dans l'embarras. Par exemple, le nôtre a la mauvaise manie de glisser sa truffe sous les jupes des dames. Je suis une femme, je suis parfois en jupe et je sais parfaitement l'effet que ça fait. Je comprendrais très bien qu'un jour l'une d'elles ait une réaction assez violente. En général, elles reculent simplement avec un petit cri et un rire gêné. Et je peux vous dire que la gêne est partagée. Il est aussi difficile, je vous le disais juste avant, de contrôler leur attrait pour la nourriture. Une amie en a plusieurs fois fait les frais avec son chien particulièrement glouton. Un jour, son chien a volé au passage le pain au chocolat d'un homme qui faisait la manche sur le bord du trottoir. Un autre jour, c'était le gâteau d'une dame dans un salon de thé. Le nôtre, c'est un malin. Il fait tout pour ne pas se faire prendre. C'est ainsi qu'on s'est plusieurs fois fait interpeller dans la rue par des gens qui nous ont signalé que notre chien avait dans la gueule un énorme os ou un quignon de pain. Enfin, quand je dis un quignon de pain, c'était plutôt une demi-baguette... une autre fois, alors qu'il s'était parfaitement tenu pendant toute la visite des Halles Paul Bocuse à Lyon, malgré toutes les odeurs très très alléchantes, juste avant la sortie, il avait plongé la tête au sol. Nous avons tout d'abord pensé que ce n'était rien. Mais une fois arrivés à l'arrêt de bus, alors que nous ne faisions plus tellement attention à lui, nous l'avons entendu croquer quelque chose. C'était un escargot farci qu'il avait attrapé à la dernière minute.

Et comme tout être vivant, un chien guide peut aussi avoir un coup de moins bien. Et je peux vous dire qu'il faut avoir de la ressource quand son chien, victime d'une indigestion, régurgite tout son repas sur la moquette du bureau lors d'un entretien d'embauche ou d'un rendez-vous commercial. C'est arrivé à un de mes amis et à en croire son témoignage, ce n'est pas bon pour les affaires.

Je termine avec une recommandation pour les propriétaires de chiens de compagnie. Comme le fait de résister à l'attrait de la nourriture, ne pas succomber à l'appel des congénères est très difficile pour un chien guide. Alors si vous en croisez un, merci d'éviter les contacts trop rapprochés. Pas la peine non plus de faire des politesses en le laissant passer. S'il est facile pour vous de passer devant votre chien pour l'éloigner, vous comprendrez que c'est nettement plus compliqué pour une personne aveugle qui, justement, dépend de son chien pour trouver son chemin. Et, bien sûr, dans ce genre de situations, il n'est pas interdit de communiquer par la parole et même au contraire, c'est plutôt bienvenu.

Enfin, la semaine dernière, c'était la Saint-Valentin. Et je ne résiste pas à vous signaler que les chiens guides participent parfois à la naissance de belles histoires d'amour. Je dois dire que notre chien guide a beaucoup facilité le début de notre relation avec mon conjoint. Il l'a beaucoup aidé à réaliser les trajets entre nos deux domiciles que séparaient trois lignes de métro et un funiculaire. Il nous a alors permis de nous rencontrer plus souvent et de nous retrouver plus facilement à l'extérieur.

Je connais également un autre couple qui a fait connaissance grâce à l'attirance de leurs deux chiens sur un quai de métro. Les chiens n'ont pas attendu pour se faire des bisous sur le quai du métro et c'est alors Que leurs maîtres ont fait connaissance. Une histoire qui dure depuis maintenant plus de vingt ans!

Je vous laisse sur cette belle histoire. J'espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, ce sera déjà le dernier épisode de cette saison, et j'ai décidé de vous parler de vous; plus précisément, de vos remarques et attitudes qui peuvent s'avérer blessantes pour les personnes qui, comme moi, ne peuvent avoir le secours de leurs yeux. Rassurez-vous, il ne s'agit certainement pas de vous faire la morale, mais plutôt de vous faire sourire en vous invitant à changer de point de vue.

Vous venez d'écouter "Série Noire Pour Une Canne Blanche", un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA, webzine.okeenea.com, et toutes les bonnes plateformes de podcast.

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Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D'ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien!

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