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Monochrome Web : Site "Par & Pour Déficients Visuels"Rubrique : Le Podcast "Série Noire Pour Une Canne Blanche"Épisode #10 : "Le Calvaire De L'Hôpital"Bon à savoir ... Avant de télécharger!
Transcription Texte
Je suis Lise Wagner, et je vous accueille dans ma "Série Noire Pour Une Canne Blanche". "Série Noire Pour Une Canne Blanche", c'est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu'affrontent quotidiennement les personnes qui, comme moi, voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles. Aujourd'hui, pour ce dixième épisode, je vous emmène dans un lieu qu'on aimerait fréquenter le moins possible. Une odeur de désinfectant, un dédale de couloirs, des brancards abandonnés, des silhouettes en blouse blanche qui s'affairent d'un pas pressé... Vous l'avez reconnu? Nous sommes à l'hôpital. L'hôpital, Un lieu synonyme d'appréhension pour la plupart d'entre nous, et pour cause. Si on franchit les murs de cette inquiétante institution, c'est que quelque chose ne va pas pour nous-mêmes ou l'un de nos proches. Et quand on a en plus une vue déficiente, inutile de vous dire que les choses se corsent. Accrochez-vous, nous voilà partis pour une aventure qui promet d'être mouvementée. Quand on entre à l'hôpital, à moins que ce soit en simple visite ou au contraire en urgence, la première étape, c'est d'être enregistré, étiqueté, et donc de passer par l'administration. Bien sûr, c'est important. Une opération des ligaments croisés et une amputation, ce n'est pas la même chose et autant ne pas confondre les patients. Mais personnellement je redoute toujours particulièrement ce passage puisque rien n'est fait, absolument rien, pour les gens comme moi. Dans un hôpital, comme dans beaucoup d'autres endroits d'ailleurs, une personne avec une canne blanche non accompagnée, c'est un accident, un événement non répertorié. J'ai eu la chance de ne pas fréquenter l'hôpital autrement que pour des visites jusqu'à l'âge de trente ans passés. Pour la première fois, on m'avait bien prévenu qu'il fallait passer par la case étiquette. Vous savez, c'est le bâtiment orange tout près de l'entrée. Comme il s'agit d'une conversation téléphonique et que je n'ai pas envie d'entrer dans les détails, je ne précise pas que le bâtiment, qu'il soit vert, bleu, jaune, orange, ça ne change rien, il ne me sautera pas aux yeux. Je garde quand même précieusement cette information pour le moment où je serai sur place et où je pourrai solliciter les passants en leur demandant le bâtiment orange. Et c'est bien ce qui se passe le jour J. Une charmante dame m'accompagne jusqu'à l'entrée du dit bâtiment. Il y a là un préposé à la distribution des tickets. Faussement naïve, je lui demande comment je serai informé quand ce sera mon tour. Je sais par expérience que rares sont les systèmes de gestion de file d'attente qui annoncent le numéro à haute voix. Et quand bien même je saurais quand mon numéro apparaît, je n'aurais aucune information sur le guichet où je dois me rendre. Vu que ce charmant préposé n'a pas de réponse à ma question, je lui demande si, exceptionnellement, il ne pourrait pas me faire passer en priorité. Ce à quoi il me répond qu'ici tout le monde a une bonne raison d'être prioritaire et qu'il n'y a pas de passe-droit. Il daigne quand même m'accompagner jusqu'à un siège où je m'assois docilement. Pour assurer mes arrières, je demande quand même à ma voisine si elle peut surveiller pour moi le défilement des numéros. Mais comme celle-ci est arrivée avant moi, c'est en toute logique que son tour vient avant le mien et elle disparaît soudain. Mon numéro finit par passer sans que personne ne m'en informe. Ça fait une bonne demi-heure que j'attends quand le préposé aux tickets revient vers moi d'un air inquiet. En regardant mon numéro, il lâche un juron sonore et, pour m'épargner une nouvelle demi-heure d'attente, ô miracle, il propose de m'éditer un ticket prioritaire. C'est donc que ça existe! S'il avait pu le faire depuis le début, ça aurait quand même été beaucoup plus simple. Je me retrouve donc très rapidement devant une employée, pas plus aimable, mais qui me remet le précieux sésame : mes étiquettes. Cette scène se répète souvent, à chaque fois que je me rends en consultation dans un hôpital. Sauf qu'aujourd'hui, on a remplacé les préposés aux tickets par des machines, et celles-ci ne sont pas plus conciliantes sur l'accord d'une priorité pour les personnes qui ont des difficultés à suivre la procédure. Pire encore, elles ne délivrent tout simplement pas de ticket si on n'est pas capable de maîtriser leur mystérieuse interface tactile. Sans le secours de la vue, c'est mission impossible. Mais par chance, je vous l'assure, il existe encore sur terre quelques êtres humains serviables qui n'hésitent pas à venir en aide à leur prochain. Il arrive quand même souvent que, devant une énigmatique distributrice de tickets, une âme charitable me prête son assistance pour lui faire cracher le précieux bout de papier qui me permettra d'obtenir une place dans la file d'attente. Mais la suite reste aléatoire. Mon numéro de passage sera-t-il appelé à haute voix? Va-t-on m'indiquer le guichet où je dois me rendre avant qu'on passe au prochain numéro? Comment va-t-on me recevoir? Ah, mais vous êtes... Y‘avait pas un monsieur avec vous tout à l'heure? Comment vous allez faire pour aller au pavillon W? Vous avez besoin d'aide? Oui, je vous le dis : une personne seule avec une canne blanche dans un hôpital, on n'a pas prévu ça. Alors on s'arrange... On appelle une stagiaire, un agent de sécurité, une femme de ménage... Ou encore, dans certains cas, on essaie de vous décrire l'itinéraire. A partir de là, vous allez tout droit pendant cinq cents mètres et à ce moment-là, vous tournez à gauche et ce sera le bâtiment juste en face. Vous verrez, vous ne pouvez pas le rater. Parfois, je suis tellement découragée que je n'ose pas insister. Et je pars dans la direction indiquée en espérant que ma boussole et mon podomètre intérieurs vont m'aider à atteindre ma destination. En réalité, je sais que va démarrer pour moi un grand jeu de piste que je ne suis pas sûre de gagner. Mais puisqu'il n'y a personne pour m'accompagner et que je suis joueuse, allons-y, on verra bien... Et je vous jure que s'il y a bien un endroit où l'accessibilité aux personnes handicapées semble avoir été complètement oubliée, c'est dans certains grands hôpitaux, notamment les hôpitaux pavillonnaires. Il existe un étrange contraste entre l'état physique, des patients accueillis et l'attention portée à l'aménagement des lieux. Il m'est d'ailleurs plusieurs fois arrivé de collecter quelques blessures entre l'entrée de l'hôpital et mon bâtiment de destination. Je n'ai jamais rencontré ailleurs une telle diversité d'obstacles, des plots anti-stationnement de toutes les formes. Et malgré cette collection improbable, il n'est pas rare de trouver quand même des véhicules stationnés sur les pseudo-trottoirs qui longent les bâtiments. Alors même avec les meilleures indications possibles pour trouver mon chemin dans cette jungle, les chances de succès sont très minces. Pas de balises sonores, ni de bandes de guidage. Là encore, il vaut mieux pouvoir compter sur l'empathie naturelle de ses congénères. Mais il y a pire, ce sont les documents médicaux. Sans mentir, ce qui m'effraie le plus dans une hospitalisation, ce n'est pas le fait de rester enfermée pendant plusieurs jours, les examens pénibles ou même une éventuelle intervention chirurgicale. Non, ce sont les innombrables documents à lire et à remplir : Formulaire de préadmission, personne à prévenir en cas d'urgence, recommandations, risques encourus, questionnaire d'anesthésie, ordonnances, résultats d'examens... J'avoue que les liasses de documents qu'on nous remet lors d'une hospitalisation provoquent irrémédiablement chez moi une subite envie de pleurer. Surtout que la remise de ces documents s'accompagne en général d'une phrase du type : 'Y'a bien quelqu'un qui va vous aider à lire tout ça.". J'ignore qui est ce quelqu'un qui rôde dans l'esprit du personnel des hôpitaux, et des administrations d'ailleurs en général. Alors puisque j'ai la parole, j'en profite pour le rappeler une fois de plus. Non, je ne vis plus chez mes parents depuis longtemps. Non, je n'ai pas de conjoint ou d'enfants voyants que je pourrais exploiter à loisir. Non, mes amis ne sont pas là pour ça. D'ailleurs, vous en avez beaucoup des amis qui sont prêts à passer une demi-journée à remplir des documents administratifs juste pour vous faire plaisir? Les miens, je crois qu'ils préfèrent qu'on aille se balader ou boire des coups en terrasse, passer un bon moment, quoi. Et non, je ne cache pas d'esclave dans ma cave. Et d'ailleurs, pour tout vous dire, je ne tiens pas à partager des informations médicales confidentielles avec qui que ce soit d'autre que le personnel de santé qui me suit. J'aimerais tant pouvoir être actrice et autonome de mon propre parcours de soins. Alors oui, quand je me retrouve seule face à la lourdeur des formalités administratives, j'ai simplement envie de pleurer. Comment se fait-il qu'en 2023 tous ces documents ne soient toujours pas disponibles dans des formats adaptés aux différents handicaps, et notamment dans un format numérique accessible avec un lecteur d'écran? Parlons maintenant du personnel soignant. Peut-être parce que l'empathie est une qualité très répandue chez le personnel soignant, je n'ai jamais eu trop à me plaindre et j'ai eu d'excellentes relations avec la plupart des infirmières, brancardiers ou aides-soignantes qui se sont occupés de moi. Mais parfois, à trop vouloir bien faire, on tombe à côté de la plaque. Dès lors que vous êtes admis à l'hôpital, et même si vous êtes en pleine forme, le fauteuil roulant est de rigueur pour tous les déplacements, surtout si vous avez un handicap et quel que soit ce handicap, même s'il n'altère en rien votre motricité. J'ai souvent dû négocier avec les brancardiers qui m'accompagnaient à des consultations ou à des rendez-vous d'examen à l'intérieur de l'hôpital pour avoir le droit de me déplacer sur mes deux pieds. Mais je me souviens d'un brancardier qui n'avait absolument rien voulu entendre. Malgré mes protestations, il me pousse donc dans mon fauteuil roulant jusqu'à l'extérieur du service et nous attendons devant les ascenseurs. Moi je bougonais qu'on fasse des choix à ma place, que je pouvais très bien marcher, Au contraire, ça m'aurait fait du bien de me dégourdir les jambes. Lui, resté stoïque, il en avait certainement vu passer d'autres. Alors nous attendons, attendons... une bonne vingtaine de minutes, jusqu'à ce qu'un infirmier en passant nous informe que ces ascenseurs étaient tout simplement hors service. Le brancardier dut alors se résoudre à me laisser marcher, une bonne occasion pour moi de le former à la technique de guide pour les personnes déficientes visuelles. Un autre moment délicat, c'est la prise des repas avec leur lot de devinettes : L'organisation du plateau, le contenu des barquettes, l'ordre des plats, de l'entrée au dessert, l'emplacement des couverts, de la carafe, etc. Il arrive souvent que les aides-soignantes, très bien intentionnées, veuillent ouvrir les barquettes à ma place. Mais maintenant, j'ai appris à décliner cette attention, poliment mais fermement. Car j'ai le souvenir d'une fois où une aide-soignante avait pris soin d'enlever chaque film protecteur sur les barquettes. Elle m'avait même ouvert. Le yaourt était allé jusqu'à planter la cuillère dedans. Sauf que moi, découvrant le plateau à Tâtons, j'ai trouvé le moyen de mettre les doigts dans la sauce brûlante du plat et, d'un réflexe de douleur, j'ai accroché la petite cuillère du yaourt, le renversant sur ma belle chemise d'hôpital. J'étais bien sûr reconnaissante de cette attention mais je l'aurais été davantage si elle m'avait informée de sa démarche. Autre anecdote qu'un ami m'a racontée : alors qu'il séjournait à l'hôpital, les aides-soignantes avaient l'habitude de distribuer le café aux alentours de quatre heures. Habituellement, c'était son compagnon de chambre qui faisait le relais et lui donnait un coup de main. Mais un jour que celui-ci était parti pour le week-end, l'aide-soignante est passé et, ne sachant pas comment s'adresser à une personne aveugle, elle l'a tout simplement ignoré. Pas de bras, pas de chocolat. Pas de vision, pas de boisson. Alors, comment faire en sorte que l'hôpital devienne accessible à tous? Oui, je sais, l'hôpital est malade. Il souffre d'un manque cruel de moyens financiers, techniques et humains. Et la crise sanitaire n'a rien arrangé. Mais je me prends à rêver qu'un jour, l'hôpital offrira à tous ses patients un accueil de qualité adapté à leurs besoins. Je rêve qu'un jour le personnel hospitalier soit formé à la prise en compte des besoins spécifiques de chaque patient. Je rêve qu'un jour l'hôpital soit aménagé de telle sorte qu'il permette un déplacement facile et sûr pour tout le monde. Je rêve qu'un jour chacun puisse avoir accès aux documents dans le format qui lui convient le mieux. Je rêve qu'un jour toute personne qui en éprouve le besoin puisse accéder à une aide humaine sans surcoût, ni contrainte disproportionnée. Que faire pour que ce rêve devienne un jour réalité? Chacun peut amener sa pierre à l'édifice. Et si vous écoutez ce podcast, je suis sûre que vous êtes prêts à faire votre part du job. J'espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, je laisserai exceptionnellement ma canne blanche au placard pour vous raconter quelques aventures vécues avec un compagnon à quatre pattes. Oui, nous parlerons des chiens guides. Vous venez d'écouter "Série Noire Pour Une Canne Blanche", un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA, webzine.okeenea.com, et toutes les bonnes plateformes de podcast. Si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à le partager largement avec votre entourage. Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D'ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien! Lien De Téléchargement DirectCopyright (©) Stéphane VINCENT 2006-2099 Monochrome Web, Site "Par & Pour Déficients Visuels" - Tous Droits Réservés |