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Épisode #5 : "Stupeur Et Tremblements À L'Aéroport"

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Transcription Texte

Bonjour à toutes et à tous,

Je suis Lise Wagner, et je vous accueille dans ma "Série Noire Pour Une Canne Blanche".

Aujourd'hui, pour ce cinquième épisode, je vous invite à embarquer avec moi dans les galères des aéroports.

Je ne connais personne qui ne ressent aucune appréhension à l'idée d'un voyage en avion. L'excitation du voyage, l'attente à l'aéroport, la peur d'avoir oublié un document important, ou d'avoir laissé une coupable paire de ciseaux dans son sac à main, la foule anxieuse, les douaniers austère; prendre l'avion est souvent une épreuve. Mais quand on a un handicap, contrairement à ce que l'on pourrait penser, c'est presque plus simple que de prendre le bus grâce aux services d'assistance présents dans les aéroports. À condition, cependant, que le personnel d'assistance soit humain et compétent; ce qui, malheureusement, n'est pas toujours le cas. Je vous propose d'embarquer avec moi, vous allez voir qu'il faut bien souvent serrer les dents.

Tout d'abord, sachez que, quel que soit votre handicap, le fauteuil roulant est obligatoire. Et ceci, même si vous êtes acrobate ou marathonien. On pourrait penser que le personnel des aéroports est formé à reconnaître les différents handicaps et à s'adapter aux besoins spécifiques de chacun. Mais il n'en est rien. Dans beaucoup d'aéroports, même encore aujourd'hui, vous avez demandé un accompagnement, on vient vous chercher en fauteuil roulant.

Ça m'est arrivé au Maroc, en Espagne, en Allemagne, en Irlande, en Pologne et, tout récemment encore, au Canada. Alors, non seulement on vient vous chercher avec un fauteuil roulant alors que vous n'en avez pas fait la demande; mais en plus, il arrive qu'on vous oblige à vous asseoir dedans. Alors peut-être que vous vous dites : Oui, c'est certainement plus simple de s'asseoir dans un fauteuil roulant que de traverser à pied l'immensité des aéroports. Moi, le fait de devoir m'asseoir dans un fauteuil roulant, ça me donne l'impression de devoir renoncer à toutes mes capacités motrices auxquelles je tiens tant. A chaque fois que ça m'est arrivé, il a fallu que j'argumente, que je mette en avant mes exploits sportifs pour avoir le droit d'être simplement guidée sur mes deux jambes. Les agents de l'assistance aéroport prétextent souvent que c'est plus facile pour eux de nous emmener en fauteuil roulant. Mais où est le choix du client? Propose-t-on à une personne qui ne peut pas marcher de lui bander les yeux pour qu'elle ne voit pas comment on la traite?

J'ai déjà entendu plusieurs personnes déficientes visuelles dire que ça ne les dérangeait absolument pas d'être poussées dans un fauteuil roulant. Mais moi, ça m'est absolument insupportable. D'autant plus que j'aime marcher et j'aime particulièrement me dégourdir les jambes quand j'ai passé huit heures assise pliée dans un avion.

Alors, même si ça part d'une bonne intention, non merci; je préfère largement marcher.

Une autre chose qui me fait sortir de mes gonds, c'est la manière dont on nous appelle, nous, les personnes handicapées. Par commodité, les services d'assistance des aéroports utilisent des codes pour désigner les personnes selon leurs besoins spécifiques. Ce sont des codes avec des lettres; pour désigner, par exemple, une personne aveugle qui a besoin d'accompagnement, une personne à mobilité réduite qui marche, une personne à mobilité réduite qui se déplace en fauteuil roulant, etc. Chaque besoin spécifique a son code. Mais ce qui est fort, c'est que les employés de l'assistance n'ont absolument aucun scrupule à utiliser ce langage déshumanisant devant les clients qu'ils accompagnent : Un Blind, une chaise... Là encore, c'est peut-être un peu d'orgueil mal placé de ma part, mais j'ai quand même du mal à accepter d'être traitée comme un colis.

J'ai le souvenir particulièrement d'un voyage Lyon / Francfort, un voyage somme toute assez banal, que beaucoup de gens d'affaires font régulièrement. Moi, c'était pour me rendre au plus grand salon européen sur la déficience visuelle, le salon SightCity. J'avais pris pour me rendre à l'aéroport la navette Rhône-Express, qui part de la gare Part-Dieu pour amener à l'aéroport Saint-Exupéry.

Une fois installée dans la navette, j'ai demandé au chef de bord de prévenir l'assistance de mon arrivée. L'assistance que j'avais, bien sûr, réservée au préalable; puisque c'est une obligation de devoir la réserver bien à l'avance; généralement, en même temps qu'on réserve son billet d'avion. J'arrive sur le quai, personne. Ce jour-là, il faisait vraiment froid. Personne, au bout d'une demi-heure, toujours personne. Au bout de plus d'une demi-heure, un homme arrive. Pas un bonjour, pas un mot de présentation. Il m'attrape par le bras et il me dit : On y va. Je soupçonne quand même qu'il s'agit d'un agent de l'assistance, et comme je ne veux pas me mettre davantage en retard, je le suis sans protester.

Et là, je l'entends annoncer dans sa radio : C'est bon, j'ai récupéré la Blind. Super, je suis donc une Blind. À mi-chemin, sans doute parce qu'il était appelé ailleurs, il passe le relais à l'une de ses collègues. Je me retrouve passée de bras en bras; vraiment, comme si j'étais un ballot de linge ou une simple valise.

Du fait que j'ai attendu longtemps à mon arrivée, nous arrivons en retard à l'embarquement. Et, alors que normalement les passagers en situation de handicap sont embarqués avant les autres, là, l'embarquement a déjà largement commencé. Mon accompagnatrice, toujours aussi peu aimable, me fait courir jusqu'à la porte de l'avion et me jette comme un paquet au steward qui faisait l'accueil des passagers.

Alors que le steward m'aide à m'installer, je lui demande où est ma valise. Il me répond que ma valise n'est pas là, et qu'elle a dû partir en soute. Ce qui est absolument impossible, puisque je l'avais au moment du contrôle. Et, entre nous, si je me suis cassé la tête à tout faire rentrer dans une toute petite valise, c'est certainement pas pour qu'elle parte en soute. Alors, le steward rappelle de justesse mon accompagnatrice. Elle fait le chemin inverse, et elle revient, quelques minutes après, avec ma valise qu'elle avait tout simplement abandonnée auprès de la porte d'embarquement. Alors, non seulement elle me traite comme un colis, mais en plus, elle oublie mon bagage.

Toujours sur ce même vol Lyon / Francfort, deux ans plus tard, j'ai encore eu une belle mésaventure. Cette fois, tout avait pourtant très bien commencé. Il y avait bien quelqu'un qui m'attendait à la descente de la navette de l'aéroport. Pas exagérément poli, vous vous en doutez, mais je m'en accommode. Nous passons le comptoir d'enregistrement, le contrôle. Mon accompagnateur m'amène jusqu'à la salle d'embarquement et, comme nous sommes en avance, cette fois, il me laisse attendre et il me dit qu'il reviendra au moment de l'embarquement. L'emplacement me semble un petit peu isolé mais comme toutes mes formalités sont en règle et que je sais que je suis enregistrée comme une personne handicapée nécessitant l'assistance, je suis parfaitement sereine.

Mais l'heure tourne, et personne ne se manifeste. Comme j'ai déjà été dans ce genre de situation, j'imagine que mon vol doit avoir du retard. Je me rassure en me disant que, de toute manière, je suis enregistrée, que les passagers handicapés bénéficient d'une attention particulière et qu'on ne va pas me laisser ici. Malgré tous les arguments que je me répète dans ma tête, l'angoisse commence à monter. Je me lève de mon siège et je commence à demander à la cantonade : s'il vous plaît, s'il vous plaît, y'a quelqu'un? Mais personne ne réagit. Finalement, je pense à mon téléphone dans lequel j'ai pris la précaution d'enregistrer le numéro de téléphone de l'assistance. Là, je tombe sur une voix féminine un petit peu fatiguée, du genre pas très envie de travailler. J'explique la situation et là, j'apprends à mon grand désespoir que personne n'est en route pour venir me chercher... J'ai bien fait d'appeler, elle m'envoie quelqu'un immédiatement.

Mais lorsque l'employé arrive enfin, tout penaud, l'embarquement est terminé et l'avion est parti. Il a beau être super adorable, j'explose. Et moi qui pensais que dans un aéroport tout était ultra sécurisé. Moi qui pensais que les passagers manquants étaient systématiquement appelés au micro. Moi qui pensais que l'assistance aux personnes handicapées prenait soin des personnes dont elle avait la charge. Et ce que j'apprends n'a rien pour m'apaiser : le prochain vol décolle quatre heures plus tard... Et quand je demande des explications sur ce qui vient de se passer, comment on a pu m'oublier, on me répond qu'on m'avait confondue avec une autre personne en fauteuil roulant qui n'avait pas demandé l'assistance et qui s'est présentée à l'embarquement. Vous voyez le rapport? Moi j'avoue que toujours pas, même des années après.

Aujourd'hui, j'aimerais me convaincre que les choses ont changé. Malheureusement, je lis régulièrement des témoignages de personnes handicapées maltraitées dans les aéroports. Par exemple, une amie non-voyante que le personnel d'assistance a fait attendre plus d'une heure sur le quai d'arrivée de la navette Rhône-Express, et lui a fait manquer son vol pour Istanbul. Ou encore, le président de la commission accessibilité de la CFPSAA, qui rassemble les associations de personnes déficientes visuelles sur le plan national, qui a été tout récemment oublié dans un avion pendant plus de 45 minutes alors que tous les passagers étaient sortis.

Sans compter le refus de vendre un billet d'avion à un couple de non-voyants accompagnés de leur petite fille de deux ans. Ou encore, le refus d'embarquement d'une personne en fauteuil roulant malgré toutes les précautions qu'elle avait prises pour réserver un siège sur lequel elle avait suffisamment d'espace. Bref, vous l'aurez compris, l'accès au voyage aérien pour les personnes handicapées est encore loin d'être totalement garanti.

J'aurais, sans doute, au moins autant d'anecdotes à raconter sur les voyages en train et le service d'assistance Accès Plus. Je pense que ça fera l'objet d'un prochain épisode. En attendant, je rêve d'un monde où les personnels d'assistance aux personnes handicapées seraient réellement valorisés, bien formés, bien payés, un monde où ils ne seraient pas eux-mêmes maltraités, ce qui les rend forcément maltraitants.

Je connais les problématiques des services d'assistance : Surcharge de demandes, difficultés de planification, turnover important... Mais justement, si ce métier était valorisé, nous n'en serions pas là. Je crois aussi beaucoup en la complémentarité de l'aide humaine avec les nouvelles technologies. Si j'avais été en mesure de rejoindre par moi-même la porte d'embarquement grâce à un système de navigation indoor, par exemple, je n'aurais certainement pas manqué mon vol.

J'espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, nous partirons à la découverte des trottoirs de nos villes et de leurs terrifiants envahisseurs.

Vous venez d'écouter "Série Noire Pour Une Canne Blanche", un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA, webzine.okeenea.com, et toutes les bonnes plateformes de podcast.

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Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D'ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien!

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